CAA Paris, 17 octobre 2013, Ville de Paris et Fédération Française de Tennis (FFT), n° 13PA00911 ; 13PA01382.
Décidément, la ville de Paris ne cesse d’innover – pour le meilleur et pour le pire – dans le droit relatif aux conventions d’occupation du domaine public 1 !
Le conseil de Paris avait dans notre affaire, approuvé par délibération la signature avec la FFT d’une convention l’autorisant – moyennant le versement d’une redevance 2 – à occuper, exploiter et valoriser la dépendance du domaine public municipal constituée par le stade Roland-Garros.
La fixation de la redevance pour occupation privative du domaine public est fixée au regard des dispositions de l’article L. 2125-3 CGPPP 3, le Conseil constitutionnel ayant rappelé que son montant doit prioritairement reposer sur la prise en compte de l’avantage que l’occupant est susceptible d’obtenir 4 par cette autorisation 5.
L’administration doit bien sûr veiller à la défense de ses intérêts financiers 6. La rentabilité de l’occupation 7 tout comme la durée du titre 8 constituent à cet égard des éléments essentiels.
La CAA de Lyon a, par exemple, considéré que « les avantages tirés de l’occupation d’un complexe sportifs’apprécient notamment au regard des recettes tirées de son utilisation telles que la vente des places et desproduits dérivés aux spectateurs, la location des emplacements publicitaires et des charges que la collectivitépublique supporte telles que les amortissements, l’entretien et la maintenance calculés au prorata de l’utilisationd’un tel équipement » pour juger que la redevance exigée de la part de l’Olympique lyonnais pour occuper le stade de Gerland était d’un montant trop modeste 9.
Son homologue parisien adopte le même raisonnement. En l’espèce, la convention d’AOT offrait les caractéristiques suivantes :
– la FFT s’engageait à verser annuellement à la ville de Paris une redevance égale au montant résultant de l’application d’un taux au chiffre d’affaires hors taxes (billetterie, redevances médias et produits des partenariats) réalisé chaque année sur le site, essentiellement grâce au tournoi de Roland-Garros ;
– la redevance annuelle s’estimait ainsi à environ 6,5 millions d’euros, la FFT s’étant, en outre, engagée dans des travaux de modernisation pour 273 millions d’euros.
Mais les juges d’appel relèvent aussi que :
– la durée de la convention passée avec la FFT s’élevait à 99 ans (« durée très inhabituelle »), l’occupant pouvant demander une résiliation anticipée de la convention moyennant indemnisation ;
– la convention autorisait la création sur la parcelle occupée, des locaux du nouveau centre national d’entraînement de la FFT ainsi que des locaux administratifs, évitant ainsi à l’occupant des coûts de location externe ;
– l’occupant pouvait être indemnisé à hauteur de la valeur des travaux en cas de » blocage irrémédiable et définitif » du projet pour une cause lui étant non imputable, en y joignant une indemnité exceptionnelle de 20 millions d’euros ;
– enfin, la ville s’était engagée, d’une part, à garantir à hauteur de 50 % les emprunts contractés par la FFT pour réaliser les travaux de modernisation et, d’autre part, à verser une subvention de 20 millions d’euros pour ces travaux.
La tentative d’alléguer des conséquences économiques favorables reste vaine :
– retombées économiques pour Paris et sa région de l’ordre de 250 millions d’euros et générant l’équivalent de 572 emplois à temps plein, alors qu’il avait été envisagé de délocaliser le tournoi ;
– un surcroît de notoriété pour la capitale française.
La CAA, en faisant une balance entre les intérêts économiques perçus par l’occupant et les retombées dont peut jouir la ville de Paris, relève un déséquilibre en faveur du premier et en conclut au caractère manifestementinsuffisant de la redevance domaniale.
La venue de Nadal, Federer, ou Djokovic n’a donc pas suffi à convaincre la Cour… Qu’en aurait-il été dans l’hypothèse d’une victoire française en finale de Roland-Garros 10 ?
1 On a en mémoire la décision polémique CE, 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, n°338272 rejetant la nécessité d’une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence pour une AOT.
2 Pour la nature juridique de la redevance, voir CE, Sect. 22 décembre 1989, Chambre de commerce et d’industriedu Var, n° 46052.
3 Qui dispose : » La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantagesde toute nature procurés au titulaire de l’autorisation « .
4 Cons. Constit. 27 décembre 2001, n° 2001-456 DC, Loi de finances pour 2002.
5 Le juge administratif avait, depuis bien longtemps déjà, pris en compte la nécessaire adaptation du montant des redevances dues par l’occupant privatif : voir CE, 12 décembre 1923, Sieurs Peysson, Mollaret et Bory, Rec. 825 ou CE, Ass. 3 février 1933, Syndicat des partons et marins pêcheurs du Tréport, Rec. 153.
Notons aussi que, à propos de l’occupation de cabanes ostréicoles sur le Bassin d’Arcachon, le juge doit prendre en compte « l’intérêt spécifique constitué par le fait d’être autorisé à jouir privativement d’une partie dudomaine public » : CE, 10 février 1978, Min. de l’Economie et des Finances c/ Scudier, Rec. 66.
6 CE, Ass. 22 mars 1929, Sté de constructions d’embranchements industriels, Rec. 355.
7 CE, 7 mai 1980, SA « Les marines de Cogolin », Rec. 215.
8 CE, 11 juillet 2007, Syndicat professionnel Union des aéroports français, Rec. T. 843.
9 CAA Lyon, 12 juillet 2007, Ville de Lyon, n° 06LY02107.
10 Rappelons que le Conseil d’Etat s’est récemment décidé à exercer un contrôle d’un double nature sur cette question : contrôle entier sur les critères de fixation de la redevance, et contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la détermination in concreto du montant même de la redevance : CE, 1er février 2012, SA RTE EDF Transport, n° 338665.
Maxime Cornille