(Cass. Com., 18 juin 2013, SA Flowers Systems, n°12-14.836 et 12-19.054, Publié au bulletin ; Trib. Confl., 8 juill. 2013, Société Absis c/ Ministère des Finances, n°3912, Mentionné au Lebon ; Cass. Com., 17 sept. 2013, Société 3 AMO, n°12-21.659, Publié au bulletin)
Trois arrêts sont venus préciser la répartition des compétences entre juge-commissaire, juge administratif et juge des référés s’agissant de contrats administratifs concernés par des procédures collectives.
Dans l’espèce du 18 juin 2013, la société d’économie mixte chargée par décret du marché d’intérêt national de Rungis a passé un contrat de concession de service public avec une société privée pour l’occupation d’un carré de domaine public aux fins d’exploitation d’un commerce de fleurs. Suite à la mise en liquidation judiciaire du concessionnaire, le concédant a fait valoir, en vertu de l’article L641-11-1, III-1° du Code de commerce, la résiliation de plein droit du contrat pour mise en demeure restée sans réponse du liquidateur à propos de la continuation du contrat. Le liquidateur du concessionnaire a avancé, pour sa part, l’assimilation de la concession de service public en cause à un bail d’immeuble affecté à l’activité de l’entreprise au sens de l’article L641-12 du Code de commerce, qui exclut la résiliation de plein droit pour mise en demeure restée sans réponse.
La question de la qualification du contrat en cours par le juge-commissaire impliquait de savoir s’il était compétent pour juger de la continuation d’un contrat portant occupation du domaine public. En effet, en vertu de l’article L2331-1,1° du Code général de la propriété des personnes publiques, le juge administratif est compétent pour « les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires », ce qui était bien le cas en l’espèce.
La Cour de cassation, dans l’arrêt de cassation du 18 juin 2013, et au visa des articles sus-énoncés, reconnaît dans un attendu de principe la compétence exclusive du juge commissaire pour connaître des litiges portant sur la résiliation de plein droit d’un contrat en cours, « peu important que le contrat ait été conclu par le délégataire d’un service public et comporte occupation du domaine public ». C’est donc là une solution dérogatoire à l’article L2331-1, 1° du Code général de la propriété des personnes publiques.
Ceci est cohérent avec la compétence reconnue au tribunal de la procédure collective pour toute contestation née d’une procédure collective en cours ou qui est susceptible d’influencer sur cette contestation 1,ainsi qu’avec la compétence du juge-commissaire pour les contrats en cours, auquel il appartient de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence 2.
Cette solution a été confirmée par un arrêt du Tribunal des Conflits du 8 juillet 2013 3, sous réserve d’une éventuelle question préjudicielle relevant du juge administratif et dont dépendrait la solution du litige 4.
Autre exception de compétence du juge-commissaire : celle de l’hypothèse d’impayés issus de la continuation des contrats en cours, pour laquelle le juge des référés est logiquement compétent. Cette solution, indiquée récemment dans un arrêt du 17 septembre 2013, offre une construction jurisprudentielle relativement cohérente s’agissant de la répartition des compétences entre les différents juges 5.
Cette compétence du juge-commissaire indépendante de la nature du contrat en cours, bien que guidée par le souci de bonne administration de la justice, pourrait toutefois poser plusieurs problèmes au fond du litige.
D’une part, s’agissant de l’assimilation de la concession de service public à un bail d’exploitation, la Cour de cassation n’y répond pas dans l’arrêt du 18 juin 2013. Le concédant a invoqué l’incompatibilité du régime des baux commerciaux avec le caractère précaire et révocable des autorisations d’occupation du domaine public. Toutefois, l’article L641-12 du Code de commerce ne vise pas le bail commercial, mais tout bail d’immeuble affecté à l’activité de l’entreprise. C’est une formule très large, qui pourrait être compatible avec la concession de service public en cause 6.
D’autre part, s’agissant de la paralysie des pouvoirs du concessionnaire invoquée en l’espèce par la SEM, l’exercice de la faculté de résilier unilatéralement le contrat de concession (notamment si la continuité du service public est mise en danger) est incompatible avec le régime des contrats en cours, où le contractant du débiteur en procédure collective ne dispose pas du droit d’option de continuer ou de résilier le contrat, réservée au liquidateur.
Par ailleurs, il revient au juge-commissaire, dans la lignée de sa compétence analysée plus haut, de décider du sort des restitutions et indemnités induites par la résiliation des contrats en cours, ce qui est évidemment critiquable lorsqu’il s’agit de concession de service public avec des biens publics.
A cet égard, il convient d’indiquer que le législateur a prévu une dérogation au régime des contrats en cours, s’agissant des cas où une SEML est mise en liquidation judicaire. Le texte prévoit la résiliation automatique des contrats de concession au sens de l’article L.300-4 du Code de l’urbanisme ou d’une délégation de service public, le retour gratuit à la collectivité des biens apportés par cette dernière, ainsi que l’obligation de prévoir une clause spéciale d’indemnisation 7.
Une réforme du Code général de la propriété des personnes publiques est-elle nécessaire ? Ou bien doit-on prévoir des dérogations spécifiques pour certains contrats administratifs à l’égard du régime des contrats en cours en procédure collective ?
Face à la critique avancée de l’ « impérialisme du droit des procédures collectives » 8, d’autres auteurs remarque qu’ « il est difficile à l’Etat de prétendre être, par le truchement des personnes publiques diverses, un acteur au sein de l’économie privée et ne pas en subir les conséquences » 9.
Gabrielle Reddé
1 Art. R.662-3 du Code de commerce ; Trib. Confl., 26 mai 2005, Epoux Choro, n° 3354
2Cass. Com., 8 déc 1987, n°87_10.716 ; Art. L.621-9 du Code de commerce. Ce qui implique la compétence du juge-commissaire s’agissant de la qualification des contrats en cours (J. Vallansan, JCL Commercial, Fasc. 2335, pt.31). Or, les contrats administratifs ne sont pas exclus du régime des contrats en cours lors d’une procédure collective. Le sort de tels contrats entre donc dans les attributions du juge-commissaire (Cass. Com, 16 juin 2004, n°01-13.781).
3« Considérant que le tribunal de la procédure collective est seul compétent pour connaître des contestations nées du redressement judiciaire ou soumises à son influence juridique, même si les créances dont il s’agit sont de nature fiscale et concernent un impôt dont le contentieux relève de la compétence de la juridiction administrative ».
4Le commentaire de l’arrêt du Tribunal des conflits est très intéressant à cet égard, puisqu’il précise les raisons de la compétence du juge-commissaire (en citant d’ailleurs l’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2013), ainsi que ses limites (si le litige n’est pas né de la procédure collective ou n’est pas soumis à son influence : TC, 15 oct. 2012, Mme P. c/ Ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, n° 3869). En outre, le commentaire précise que la réserve pourrait concernent l’hypothèse d’une « exception sérieuse tenant à la légalité interne de la décision de l’administration fiscale (Cass.Com., 25 juin 2002, n°00-20.1163) »
5Dalloz actualié, 27 septembre 2013, obs. A. Lienhard.
6C. Lebel, Compétence exclusive du juge-commissaire en matière de contrat en cours, Lexbas, Hebdo édition affaires n° 348, 25 juill. 2013
7Art. L. 1523-4 du CGCT
8F. Kendérian, De la compétence exclusive du juge-commissaire en matière de résiliation des contrats en cours, Lettre d’actu pro. Coll. N°14, sept. 2013, repère 193.
9J. Monéger, Baux commerciaux, JCP E n°29, 18 juill. 2013, 1430