Le tribunal administratif de Lille, dans un jugement audacieux, a procédé à l’extension de la jurisprudence « Béziers II » aux mesures d’exécution du contrat, et plus particulièrement aux mesures de modification unilatérale de la personne publique.
Lille Métropole communauté urbaine et la société EAUX DU NORD, filiale de la société LYONNAISE DES EAUX France, sont liés par un contrat de concession pour la distribution de l’eau pour une période courant du 1er janvier 1986 jusqu’au 31 décembre 2015. Par délibération du conseil de communauté du 25 juin 2010, le conseil de communauté a autorisé sa présidente, en cas d’accord du concessionnaire, à signer un avenant au contrat, ou, en cas de désaccord du concessionnaire sur la proposition d’avenant, à prendre toute mesure utile permettant d’imposer, par voie de modification unilatérale du contrat, les stipulations prévues, et notamment d’émettre un titre de recettes de 115 718 752 euros (valeur 1er janvier 2010) à compter du 30 septembre 2010. Le conseil décidait également une baisse de 10 % affectant partiellement le tarif de vente d’eau potable. Faute d’accord, trois actes ont été pris par voie unilatérale, introduisant une révision du prix de l’eau, un raccourcissement de la durée du contrat, et imposant un reversement de provisions, et le titre de recettes correspondant a été émis.
Le Tribunal administratif de LILLE, saisi par le préfet du Nord et les sociétés LYONNAISE DES EAUX France et EAUX DU NORD, a par jugement du 20 février 2013, prononcé le maintien des stipulations du contrat de concession relatives à la révision tarifaire de l’eau potable, et au régime des provisions comptables, dans l’état antérieur à l’entrée en vigueur de deux des actes unilatéraux contestés.
Alors que la jurisprudence « Commune de Béziers II » était jusqu’à présent cantonnée aux seules mesures de résiliation unilatérale du contrat, le tribunal administratif de Lille en fait ici une application aux mesures de modifications unilatérales, dans le cadre d’un recours formé par un concessionnaire de distribution d’eau potable contestant la modification unilatérale par la personne publique du tarif de vente aux usagers et de la durée du contrat.
Le juge pose ainsi, dans un considérant de principe reprenant le phrasé de la décision Commune de Béziers de 2011 que :
« Considérant que le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de la modification unilatérale de ce contrat et tendant au rétablissement de l’état antérieur du contrat ; qu’elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de modification ».
Est ainsi né ce que nous pourrions appeler un « recours tendant au rétablissement de l’état antérieur du contrat » visant à prononcer l’annulation de mesures d’exécution du contrat. Ce recours de plein contentieux vient donc contourner l’impossibilité pour le concessionnaire de contester de tels actes devant le juge de l’excès de pouvoir, en l’absence de caractère détachables de ceux-ci.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’un tel jugement, audacieux tant sur le fond que dans la formulation de son considérant de principe, sera validé par les juridictions supérieures, le cas échéant.
Sources : http://lille.tribunal-administratif.fr ; Revues Contrats et Marchés publics n° 4, Avril 2013, comm. 118, LexisNexis.