Le Conseil constitutionnel juge que le premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l’intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et à l’actionnariat des salariés, devenu le premier alinéa de l’article L. 442-9 du code du travail (codifier par la loi n° 94-640 du 25 juillet 1994) dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2004, est contraire à la Constitution.
Cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision, soit au 1er août 2013. Mais elle est adoptée avec un dispositif spécifique. Pour empêcher le développement du contentieux sur cette disposition, le Conseil constitutionnel a précisé que les salariés des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par des personnes publiques ne peuvent, en application de l’ordonnance du 21 octobre 1986 demander, y compris dans les instances en cours, qu’un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur. La déclaration d’inconstitutionnalité n’aura donc pas d’impact rétroactif.
L’ordonnance du 21 octobre 2006 prévoit, pour les entreprises de plus de 100 salariés (seuil ensuite abaissé à 50 salariés 1), que ces salariés bénéficient d’un intéressement et d’une participation aux fruits de l’entreprise. L’article 15 de cette ordonnance 2, dont les dispositions sont contestées dans cette affaire, renvoient à un décret 3 le soin, d’une part, de déterminer les entreprises publiques et les sociétés nationales soumises à ce dispositif et, d’autre part, de fixer les conditions dans lesquelles ces dispositions sont applicables.
En l’espèce, la société CDC Gestion (ancien nom de la société Natixis Asset Management) était détenue majoritairement par une personne publique, mais ne figurait pas sur la liste prévue par le décret du 26 novembre 1987. Entre 1989 et 2001, la société n’a pas versé aux salariés de participation. En 2012, 187 salariés de la société CDC Gestion ont assigné la société Natixis devant le TGI de Paris afin de voir reconnaître leur droit à la participation aux résultats de l’entreprise pour cette période 1989-2001, pour une somme estimée à 10 millions d’euros. En outre, cette société estimait que le décret de 1987 aurait dû définir la notion d’entreprise publique. Sur ce fondement, elle a formé un recours en responsabilité contre l’Etat devant le tribunal administratif. C’est à l’occasion de ce litige que la QPC a été renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d’Etat 4.
Pour censurer cette disposition, le Conseil constitutionnel retient un moyen relevé d’office 5 tiré de la méconnaissance de l’étendue de la compétence du législateur 6, affectant la liberté d’entreprendre 7. Les deux parties au litige ont pourtant plaidé pour écarter ce grief.
Le raisonnement du Conseil constitutionnel s’articule en trois points.
Il précise d’abord que la notion « d’entreprise publique » telle qu’interprétée par la Cour de cassation 8 ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise 9. Cette jurisprudence judiciaire obligeait les entreprises commerciales à instituer un dispositif de participation, même si leur capital est majoritairement détenu par une personne publique10. Cela allait donc être le cas pour la société Natixis Asset Management. Les requérants critiquaient le caractère rétroactif de l’interprétation de la Cour de cassation qui aurait, en raison de sa tardiveté 11, porté une atteinte excessive et injustifiée à des situations légalement acquises en empêchant les entreprises concernées d’intégrer dans leurs prix et de provisionner dans leurs charges leurs coûts afférents à la participation, dès 1987.
Mais le débat contentieux – et l’audience le montre – s’est cristallisé sur l’existence d’une définition de la notion « d’entreprise publique ». Le Conseil constitutionnel considère que le texte litigieux, renvoyant simplement à une liste, ne donnait pas une telle définition.
Il juge ensuite, en soulevant d’office le grief, qu’en reportant sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence. Cette incompétence négative s’illustre par trois circonstances. D’abord, le législateur a soustrait les « entreprises publiques » à l’obligation d’instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Il s’est ensuite simplement borné à renvoyer au décret le soin de désigner les entreprises publiques qui seraient soumises à cette obligation. En faisant cela, le législateur s’est ainsi abstenu de définir le critère en fonction duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation. Le Conseil constitutionnel relève qu’un critère fondé sur l’origine du capital ou la nature de l’activité n’est même pas précisé. Et le commentaire de cette décision tranche : un « tel renvoi est trop lacunaire : la loi ne donne pas d’éléments quant à l’étendue de son champ d’application ».
Enfin, c’est cette propre méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence qui porte atteinte à la liberté d’entreprendre. En effet, l’imprécision avérée de la notion d’entreprise publique, du fait non seulement de l’incompétence négative du législateur, mais aussi de la jurisprudence de la Cour de cassation, « a empêché la société Natixis d’adapter sa stratégie commerciale et financière, en intégrant dans ses prix et en provisionnant dans ses charges les coûts inhérents à la mise en œuvre du mécanisme de participation des salariés aux résultats, portant ainsi atteinte à la liberté d’entreprendre », selon le commentaire de la décision.
Notons au passage que la référence à l’atteinte au droit de propriété par cette incompétence négative ne réapparaît pas dans les motifs décisifs de la décision du Conseil.
1 Loi n° 90-1002 du 7 novembre 1990.
2 Repris au premier alinéa de l’article L. 442-9 du code du travail.
3 Décret du 26 novembre 1987.
4 CE, 10 juin 2013, Société Natixis Asset Management, n° 366880, ccls. A. Lallet
5 Le Conseil constitutionnel peut relever d’office un moyen au titre de l’article 7 du règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC. Cet article dispose que « les griefs susceptibles d’être relevés d’office sont communiqués aux parties et autorités mentionnées à l’article 1er pour qu’elles puissent présenter leurs observations dans le délai qui leur est imparti ». En l’espèce, les observations ont été formulées oralement à l’audience.
6 En vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales. Et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.
7 Liberté qui résulte de l’article 4 de la DDHC de 1789.
8 Voir arrêts de la Cour de cassation : Soc., 6 juin 2000, Hôtel Frantour Paris-Berthier, n° 98-20304, confirmé par Soc., 29 juin 2011, n° 09-72281 et Soc., 8 novembre 2011, n° 09-67786, jugeant qu’une personne de droit privé, ayant pour objet une activité purement commerciale qui n’est ni une entreprise publique ni une société nationale peu important l’origine du capital, n’entre pas dans le champ d’application du décret auquel renvoie l’article 15 de l’ordonnance litigieux. Une telle entreprise est donc soumise au régime de la participation.
9 Le Conseil constitutionnel ne s’était jusqu’alors jamais prononcé sur l’atteinte aux situations légalement acquises qui pourrait résulter de la rétroactivité d’une interprétation jurisprudentielle.
10 Conception constitutive d’un revirement de jurisprudence par rapport à Cass. 1° Civ., 3 mai 1988, Renault c/ Société Verte Campagne Sovercam, n° 86-13931 jugeant qu’une entreprise du secteur public (et non une « entreprise publique » stricto sensu…) est une « entreprise dans laquelle la personne publique propriétaire détient plus de la moitié du capital social » et à CE, Ass., 24 novembre 1978, Syndicat national du personnel de l’énergie atomique CFDT et Schwartz, n° 02020, 02150, 02853, 02882, confirmé par CE, Ass., 22 décembre 1982, Comité central d’entreprise de la société française d’équipement pour la navigation aérienne, n° 34252.
11 Plus de 15 ans après le texte litigieux.
Maxime Cornille